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Adieu les rebelles !

Remerciements à Pascal Bories
pour le prêt de ce livre

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mariage pour tous, mariage homosexuel, mariage tour eiffelCrédits photographiques Jana Hobeika

 

La loi instituant le mariage "entre deux personnes
de sexes différents ou de même sexe"
a été promulguée le 17 mai 2013
par le président de la République, François Hollande*. [...]
Le plus étonnant, dans cette espèce de happy end
suivant quarante ans de combats pour "sortir du placard",
c'est qu'on nous présente le mariage comme un progrès social.
(p7)
Le trait dominant des quatre manifestations parisiennes des
17 novembre 2012, 13 janvier, 24 mars et 26 mai 2013
est l'extraordinaire motivation des manifestants
contre la "loi Taubira" ou la "loi Hollande".
Quels que soient le temps et la température,
ils affluent dans des proportions considérables.
Entre trois cent mille et un million de personnes.
(p88)
Entre les sept millions de Français vivant en union libre, 
le million quatre cent mille de pacsés et
les trente-deux millions de mariés,
l'ajustement de notre regard sur
les formes de vie commune
n'est pas réalisé. 
(p97)
Les homosexuels représentent 0,6% du total des personnes vivant en couple.
Les couples d'hommes sont proportionnellement plus nombreux
que les couples de femmes - 6 couples sur 10**. 

 

Extrait de Adieu les rebelles !, Marie-Josèphe Bonnet, Flammarion, 2014 :

p9-14

Doit-on se réjouir de cette uniformisation grandissante des désirs dans un modèle dominant qui signe, triste paradoxe de l'histoire, la victoire du modèle matrimonial hétérosexuel ? Et, avec elle, la défaite de la contre-culture homosexuelle ? Car cette normalisation s'inscrit dans la droite ligne d'une logique juridique qui s'est imposée sur la logique culturelle caractéristique du mouvement d"émancipation des années 1970. Or, on le sait, le juridique normalise quand le culturel différencie. [...] L'on peut se demander si la disparition d'une grande partie de l'intelligentsia gay dans l'épidémie du sida n'a pas laissé un vide culturel énorme, que les juristes ont rempli avec la bénédiction des acteurs de la mondialisation.

[...] Pourquoi a-t-on focalisé la reconnaissance du couple homosexuel sur le mariage ? Aurait-on oublié ce que le mariage religieux a représenté d'écrasement et de siècles d'oppression pour les femmes, qui y perdaient leurs droits, leurs biens, leur individualité, leur liberté et leur nom ? Et ce que le mariage civil républicain doit à cette sacralisation du lien matrimonial, dont les formes cérémonielles semblent toujours coloniser l'imaginaire des époux homosexuels. N'a-t-on pas dit que le Pacs n'était pas suffisant parce qu'il lui manquait la symbolique du mariage, seule capable d'apporter ce plus de reconnaissance qui ferait défaut ? Habits de cérémonie, marche nuptiale, liste de mariage, tout y est. Il ne manque plus que le papa conduisant sa fille à sa future épouse pour atteindre le top de la reconnaissance... De toute évidence, les adeptes de cette symbolique du mariage confondent le religieux et le profane, le sacré et la loi laïque de la République ? Jusqu'à présent, la République gère le droit des personnes et des biens. Pas le champ du symbolique.

[...] Des milliers d'opposants sont descendus dans les rues des grandes villes pour proclamer leurs droits de propriétaire sur une institution qui concerne, selon eux, l'homme et la femme. Le mariage relève du modèle de complémentarité sexuelle entre les sexes. Il sert à faire des enfants et à augmenter les patrimoines par l'alliance entre familles, entre rois, entre puissances temporelles. Il fallait ignorer l'histoire du mariage, promu au rang de sacrement au XIIIe siècle, pour croire que l'institution religieuse allait se laisser dépouiller de ce qu'elle avait mis si longtemps à imposer dans les populations païennes et qui fut le fer de lance de son combat pour les bonnes moeurs et le contrôle des âmes.

Mais, et c'est peut-être tout aussi grave, il fallait également ignorer le mouvement d'émancipation homosexuelle des années 1970 pour opérer une telle volte-face, un quasi retour en arrière après ces années de contestation des normes sexuelles, de la famille et du couple.

[...] Que la révolte homosexuelle des années 1970 ait pu déboucher quarante ans plus tard sur la normalisation des homosexuels a quelque chose d'absurde, d'incompréhensible et de sidérant. [...] Ignore-t-on que les sociétés ont rejeté les homosexuels depuis au moins un millénaire ? Qu'elles acceptent aujourd'hui de les assimiler aux gens "normaux" est aussi étonnant que de faire passer le mariage pour une revendication progressiste. Portée par la gauche, qui plus est. C'est presque le monde à l'envers.

On me dira peut-être que le mariage a évolué, que les époux sont égaux devant la loi et que les femmes sont égales aux hommes. Dans les textes, peut-être, mais pas dans la réalité***. Et, de toute façon, est-ce une raison pour remettre au goût du jour cette vieille institution qui ne demandait qu'à s'écrouler après la mise en place du Pacs ? Le "mariage gay" va-t-il lui redonner un coup de jeune ? Va-t-on voir émerger des parents new-look, unisexués, artisans d'une nouvelle révolution des moeurs par laquelle chaque sexe fait des enfants de son côté ? Une sorte de nouvelle guerre des sexes masquée sous l'indifférence envers l'Autre.

p30-31

1971. Le combat contre la norme est le moteur du mouvement homosexuel naissant, qui se veut à la fois révolutionnaire et authentique. Il ne s'agit plus de raser les murs mais d'instaurer un nouveau rapport avec les normaux dont l'enjeu est la reconnaissance mutuelle. Car, pour un mouvement minoritaire qui a de fortes chances de le rester, la lutte pour la reconnaissance ne peut pas suivre le chemin d'une prise de pouvoir, mais d'une révolution des désirs.

Il y a en effet deux façons de reconnaître l'Autre. Par le désir, qui lui accorde de la valeur et de l'importance, et par le juridique, qui permet d'établir un contrat reposant sur un engagement mutuel, engagement garanti par la loi qui fait fonction de tiers.

Or, pour toute minorité, qu'elle soit sexuelle, ethnique, religieuse, la majorité devient dictatoriale lorsqu'elle bloque ce mécanisme de reconnaissance. La majorité se construit comme norme et s'impose en niant la minorité avec d'autant plus de force qu'elle revêt la légitimité de la nature. La désir échappe à cette problématique. Il est un instrument de libération en ce qu'il permet d'affirmer l'authenticité de son attirance pour l'autre. [...] Vecteur de reconnaissance de soi, d'abord, de la valeur de ses désirs face à une norme qui les réprime, il devient élément fédérateur, énergie reliant les personnes qui souffrent de la répression sexuelle et veulent transformer la société. 

Le combat contre les normes est devenu un mouvement créateur sans précédent, dans lequel la minorité sexuelle a pris confiance en soi en construisant une sorte de rapport d'altérité avec les hétérosexuels, identifiés comme "hétéroflics" avant d'être pris comme interlocuteurs d'une demande de reconnaissance de l'homosexualité. Ce sera la deuxième phase du mouvement homosexuel, celle des années 1990. 

p40

Pour beaucoup d'entre nous, Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir représentaient un modèle de couple égalitaire. Ces intellectuels de gauche avaient traversé les années côte à cote sans se marier ni faire d'enfant [...]. "Deux hommes et deux femmes, ça peut être l'égalité, à condition bien entendu qu'ils ne se mettent pas à singer le couple hétéro. Le couple hétéro flic dans notre vocabulaire. C'est-à-dire le couple où il y aura un gars qui dirigera et l'autre qui fera les travaux ordinairement réservés à la femme. De même, pour les femmes, il y aura possibilité d'égalité, d'une entente physique qui repose sur une connaissance des désirs de la femme bien supérieure à pas mal de mecs, mais là aussi, il faut que la fille se méfie de ne pas mimer le couple hétéro, qu'il n'y ait pas un Jules et une femelle accroupie" (Anne-Marie Grélois, 1971). Nous ne savions pas que Simone de Beauvoir était bisexuelle et avait éprouvé de nombreuses passions charnelles pour de jeunes femmes. 

p46-48

L'arrivée de la gauche au pouvoir a constitué à la fois l'aboutissement de la culture contestataire et la reprise en main de cette nouvelle gauche sous la bannière socialiste du changement. Ainsi, la création du ministère des Droits des femmes, dirigé par Yvette Roudy, était-elle, dans son intitulé même, le signe que nous passions d'une culture de la libération à une politique d'égalité entre les sexes. Dynamique très différente l'une de l'autre, puisque la première s'appuie sur l'essor de la subjectivité tandis que la seconde cherche à traduire les changement de moeurs dans le droit.

L'égalité impliquait de penser les lois en fonction d'un référent extérieur conçu comme modèle à atteindre pour que les femmes aient les "mêmes droits que les hommes". C'était une autre perspective qui faisait de la citoyenneté masculine le modèle d'intégration des femmes dans la société.

Le piège de l'identité s'ouvrait largement, puisque cette politique s'accompagnait d'une argumentation philosophique fondée sur l'identique - ce que nous avons en commun avec les hommes -, alors qu'une grande partie de la révolution symbolique opérée par les femmes dans le sillage du MLF avait été possible grâce au développement du points de vue pluralistes s'exprimant dans des langages aussi différents que l'art, le cinéma, la littérature, l'histoire, l'essai philosophique, la psychanalyse...

p52-56

L'épidémie du sida fut une grande catastrophe et obligea les gays à développer de nouvelles structures de solidarité afin de lutter contre cette maladie inconnue qui faisait tant de ravages. [...] Que la sexualité, cette force de vie, soit associée au danger et à la mort a d'abord été difficile à admettre. Il fallait se protéger, changer complètement d'attitude avec les partenaire, devenir d'une certaine façon responsable là où le mot d'ordre des années précédentes invitait à la libre jouissance.

Il y a un avant-sida et un après-sida. Entre les deux, ce temps de deuil et de la mort qui a coupé les jeunes générations du contact avec leurs aînés. La transmission de ces années de lutte n'a pas pu se faire et l'on a vu émerger une nouvelle génération de gays n'ayant pas connu le féminisme [...]. La visibilité de l'homosexualité masculine est alors devenue une question de survie. Pour lutter efficacement contre le sida, il fallait accepter de faire des tests, d'utiliser des capotes, dévoiler son homosexualité pour être soigné [...]. Il fallait s'associer pour comprendre ce qui se passait et pousser les médecins à accepter la contribution des malades à l'identification du virus.

Ce fut alors une autre levée du tabou frappant l'homosexualité. [...] Elle s'est effectuée dans la souffrance, au coude à coude avec la mort, comme si les malades devaient payer une sorte de tribut du sang pour bénéficier des formes ordinaires de la solidarité sociale. Le changement de l'opinion s'est opéré à bas bruit durant ces années sombres où les enfants mouraient avant leurs parents. Face à ce malheur collectif, les coeurs les plus durs ont commencé à s'ouvrir. Les gays avaient le droit de bénéficier de l'aide collective. Et c'est en se montrant dans le plus grand dénuement, en exprimant une faiblesse extrême, que quelque chose a bougé en profondeur dans la société. Dans cette guerre de tranchées qui pouvait durer des années a germé l'idée d'une protection juridique possible et nécessaire des couples gays. 

Ce sera un long combat qui commence véritablement en 1989, quand la Cour de cassation refuse d'accorder aux couples homosexuels le bénéfice des droits accordés aux concubins hétérosexuels. Un premier arrêt concernait un employé d'Air France qui s'était vu refuser par son employeur le bénéfice d'un billet gratuit pour son concubin homosexuel et le second concernait une femme assurée sociale et son amie. [...] Ce refus d'étendre la protection du concubinage aux couples homosexuels eut des conséquences énormes, puisqu'il a convaincu les associations de chercher une nouvelle forme de contrat juridique. De nombreux concubins perdaient leur logement à la mort de leur compagnon. [...]

Mais, ô paradoxe, pour devenir des citoyens à part entière, visibles, les homosexuels s'engageaient dans une logique juridique menant à l'intégration dans la loi commune, c'est-à-dire à l'invisibilité. Comme l'écrira Pierre Bourdieu en annexe de son essai sur La Domination masculine, "tout se passe comme si les homosexuels qui ont dû lutter pour passer de l'invisibilité à la visibilité pour cesser d'être exclus et invisibilisés visaient à redevenir invisibles, et en quelque sorte neutres et invisibilisés par la soumission à la norme dominante".

p71

Il s'agit de protéger ses "relations pécuniaires et patrimoniales" plus que sa liberté d'aimer. Les problèmes ont donc pris le pas sur la question symbolique, assimilant la reconnaissance du couple à la protection de ses biens. 

p98

En s'appuyant sur des arguments homophobes, les adversaires du mariage pour tous ont polarisé une opposition droite-gauche qui a fait obstacle à un véritable débat sur ses implications : ouverture de la PMA aux femmes non stériles et de la GPA aux hommes riches.

p104-108

[...] qui pousse la normalisation jusqu'à réclamer un "droit à l'enfant". [...] "Pourquoi, après avoir été exclus de l'ordre familial, jugé d'ailleurs haïssable, et qui a été si fortement contesté dans les années 1970, les homosexuels ont-ils manifesté vingt-cinq ans plus tard un tel désir de normativité ?" [...] Cela vient de ce que les homosexuels ont cessé de refouler leur désir d'enfant. [...] "Ce désir est une pulsion, et quand l'être humain y renonce, c'est pour la sublimer et accomplir un autre acte de création. Une oeuvre artistique, un engagement politique ou mystique." Cette théorie de la sublimation explique donc pourquoi les homosexuels ont quitté la sphère culturelle pour l'"ordre familial".

Qu'en est-il exactement de ce désir d'enfant ? Est-il biologiquement programmé par l'hétérosexualité, c'est-à-dire par l'altérité sexuelle, impulsé par la personne aimée, ou réside-t-il dans un en-soi du dispositif pulsionnel, quelle que soit l'orientation sexuelle de la personne, permettant d'affirmer que le choix de ne pas faire d'enfant relève du refoulement ?

[...] Si le désir d'enfant a des racines profondes, qui sont non seulement pulsionnelles, mais aussi psychiques, à travers l'enfant intérieur, la personnalité nouvelle, le soi que l'on met symboliquement au monde dans la maturité, il demeure le résultat d'une union du masculin et du féminin.

Or le "désir de normativité" relève d'une autre problématique, celle de la norme sociale qui se construit ici en échappant au biologique et au psychique.

p131

La logique juridique des années 1990 a débouché sur une logique libérale qui piétine les principes humanistes au point de ne plus reculer devant la perspective de louer des ventres de femmes pour "fabriquer" un enfant. Allons-nous l'accepter ? Allons-nous devenir les complices d'un petit nombre qui, sous prétexte d'égalité, fait le jeu d'un néolibéralisme puissant, porté par le dieu argent et qui n'en finit pas de déstructurer les vies, les consciences, l'économie, le lien social et l'avenir de la planète ?

 

* un président de la République qui est le premier à ne pas être marié (p15)

** d'après les chiffres de l'INSEE de février 2011 (p97)

*** il s'avère plus facile d'établir l'égalité entre les sexualités qu'entre les hommes et les femmes (p19)

 

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Adieu les rebelles !

Marie-Josèphe Bonnet

2014

Flammarion

136 pages

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