Ecole des Beaux-Arts, Paris - crédits photographiques Jana Hobeika
Les polissons sont amoureux, mais les poètes sont idolâtres.
Il y a quelques jours, tu étais une divinité. Te voilà femme maintenant.
Je n'ai que ma prose labyrinthique pour me guérir de tout regret.
Je parle de l'amour, bien sûr, cette fiction millénaire...
Ecole des Beaux-Arts, Paris - crédits photographiques Jana Hobeika
Extraits de Jouissance du temps, Stéphane Zagdanski, Fayard, 2005 :
[...]
Je parle de l'amour, bien sûr, cette fiction millénaire dont nous aurons accompli le pauvre exploit, toi et moi, après tant d'autres, de démontrer qu'il se nourrit des obstacles qu'il s'oppose à lui-même, se déplace en trébuchant à force de bâtons qu'il place dans ses propres roueries, bute sur tous les possibles et se suicide à grandes lampées de ciguë imaginaire auxquelles on finit, bizarrement, perversement, par prendre goût.
[...] Ce mot résume donc assez bien notre amour mort-né, étouffé dans l'oeuf par ta mélancolie, électrocuté, dans les langes par ma pente moqueuse, lacéré au berceau par ton hystérie, décapité sitôt surgi par mon pessimisme libidinal, atomisé par tes imprescriptibles horaires de fac, vitriolé par mon impatience infantile, calciné à tout petit feu par ta névrose pourtant galopante, éventré par mon sadisme suave, empoisonné par ta souffrance existentielle, phagocyté corps et âme par mon incrédulité dans les matières humaines, simplement.
[...] J'ai décidé de t'écrire en tâchant de faire preuve de la plus haute délicatesse dont je suis, parfois, capable, bâillonnant mon ironie naturelle, retenant dans leur carquois encéphalique mes railleries qui te font éclater d'un délicieux rire de petite fille lorsque je les dirige contre la majorité bavarde des imbéciles malheureux, mais qui t'indignent à la hauteur comique d'un scandale diplomatique quand je me laisse aller à t'égratigner gentiment, Aurore aux grands chevaux ! [...] Ces impossibilité bourgeoises [...] que tu déposais tels des sacs de sable contre l'eau montante de mes baisers et de mes caresses étaient de purs prétextes. Ton froid désarroi vient de plus loin.
[...] Hélas, malgré nos zigzags effrénés à travers cette ville inventée pour le bonheur des amants clandestins, les espions envieux sont parvenus à nous inoculer le venin ensorcelé de la défaite. [...]
Longtemps Baudelaire envoya à Madame Sabatier de merveilleux poèmes anonymes. Puis il se déclara : "Les polissons sont amoureux, mais les poètes sont idolâtres ". Puis, sitôt qu'elle eut cédé, il se rétracta : "Il y a quelques jours, tu étais une divinité, ce qui est si commode, ce qui est si beau, si inviolable. Te voilà femme maintenant."
[...] Je n'ai que ma prose labyrinthique pour me guérir de tout regret.
Se procurer l'ouvrage :
Jouissance du temps
Stéphane Zagdanski
2005
Fayard
130 pages
https://www.amazon.fr/Jouissance-du-temps-St%C3%A9phane-Zagdanski/dp/221362335X/
A lire également : http://fichtresque.hautetfort.com/archive/2016/02/21/zagdanski.html
http://fichtre.hautetfort.com/archive/2012/08/23/jardin-luxembourg-stephane-zagdanski.html