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Considérations sur l'argent - Houellebecq

 munch,vin
Munch, autoportrait

 

La fortune ne rend heureux que ceux qui ont toujours connu une certaine aisance,
qui y sont depuis leur enfance préparés.

Il n'y a plus de valeur refuge.

 

 

 Extrait de La carte et le territoire, Michel Houellebecq, Flammarion :

p 395-397

[...] En arrivant Chez Claude, rue du Château-des-Rentiers, il eut la sensation, nette et indiscutable, que c'était la dernière fois qu'il pénétrait dans l'établissement ; il sut également que c'était sa dernière rencontre avec Franz. Celui-ci, tassé sur lui-même, était attablé à sa place habituelle devant un ballon de rouge ; il avait pris un coup de vieux, comme si de grands soucis s'étaient abattus sur lui. Certes il avait gagné beaucoup d'argent, mais il devait se dire qu'en attendant quelques années il aurait pu en gagner dix fois plus ; et sans doute aussi avait-il effectué des placements, source immanquable de tracas. Plus généralement, il semblait assez mal supporter son nouveau statut de fortune, comme c'est souvent le cas pour les gens issus d'un milieu pauvre : la fortune ne rend heureux que ceux qui ont toujours connu une certaine aisance, qui y sont depuis leur enfance préparés ; lorsqu'elle s'abat sur quelqu'un qui a connu des débuts difficiles, le premier sentiment qui l'envahit, qu'il parvient parfois temporairement à combattre, avant qu'à la fin il ne revienne le submerger tout entier, c'est tout simplement la peur.

Jed de son côté, né dans un milieu aisé, ayant connu le succès très vite, acceptait sans trouble le fait d'avoir un solde créditeur de quatorze millions d'euros sur son compte courant. Il n'était même pas sérieusement importuné par son banquier. Depuis la dernière crise financière, bien pire que celle de 2008, qui avait entraîné la faillite du Crédit Suisse et de la Royal Bank of Scotland, sans parler de nombre d'autres établissements moins considérables, les banquiers faisaient profil bas, c'est le moins qu'on puisse dire. Ils tenaient certes en réserve le baratin que leur formation les avait conditionnés à servir ; mais lorsqu'on leur indiquait qu'on n'était intéressé par aucun produit de placement ils renonçaient tout de suite, émettaient un soupir résigné, rangeaient paisiblement le petit dossier qu'ils avaient préparé, s'excusaient presque ; seul un ultime reste d'orgueil professionnel leur interdisait de proposer un compte sur livret rémunéré à o,45%.

De manière plus générale on vivait une période idéologiquement étrange, où tout un chacun en Europe occidentale semblait persuadé que le capitalisme était condamné, et même condamné à brève échéance, qu'il vivait ses toutes dernières années, sans que pourtant les partis d'ultra-gauche ne parviennent à séduire au-delà de leur clientèle habituelle de masochistes hargneux. Un voile de cendres semblait s'être répandu sur les esprits.

Ils discutèrent quelques minutes de la situation du marché de l'art, qui était passablement démente. Beaucoup d'experts avaient cru qu'à la période de frénésie spéculative qui avait précédé succéderait une période plus calme, où le marché croîtrait lentement, régulièrement, à un rythme normal ; certains avaient même prédit que l'art deviendrait une valeur refuge ; ils s'étaient trompés. "Il n'y a plus de valeur refuge", comme l'avait récemment titré le Financial Times dans un éditorial ; et la spéculation dans le domaine de l'art était devenue encore plus intense, plus désordonnées et plus frénétique, des cotes se faisaient et se défaisaient en un éclair, le classement ArtPrice s'établissait maintenant sur une base hebdomadaire.

[...]

 

 

michel, houellebecq, la carte et le territoireSe procurer l'ouvrage :

La carte et le territoire

Michel Houellebecq

2010

Flammarion

428 pages

http://www.amazon.fr/carte-territoire-Houellebecq-Michel-Broch%C3%A9/dp/B00OPMJGF4/

 

 

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