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Emile Ajar et son Gros-Câlin

Remerciements à P.Bories pour l'introduction à Romain Gary

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Pour une introduction à Emile Ajar : 

Tu sais, si on ne pouvait pas acheter
de l'amour avec de l'argent,
l'amour perdrait beaucoup de sa valeur et l'argent aussi.
Ça fait du bien au pognon, je t'assure. Il en a besoin.
Qu'est-ce que tu veux, quand tu peux te taper une belle fille
pour cent cinquante francs,
tes cent cinquante francs ont beaucoup plus de gueule après.
Ils prennent une toute autre valeur.
Au moins on sait que le pognon
veut vraiment dire quelque chose,
que ce n'est pas rien.

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Extrait de Gros-Câlin, Romain Gary, alias Emile Ajar, Folio, 1976, édition augmentée 2012 :

p225-232

Les bonnes putes sont d'un secours bien connu mais que l'on passe sous silence et sous mépris, pour éviter la hausse des prix. Mais moi je trouve que la vie pour rien, c'est ça, la vie chère.

[...] elle marchait devant moi et nous entrâmes dans une chambre très agréable, sans fenêtre mais avec un grand lit partout et des glaces sur le mur pour voir ce qu'on fait.

[...] Tu sais, si on ne pouvait pas acheter de l'amour avec de l'argent, l'amour perdrait beaucoup de sa valeur et l'argent aussi. Ça fait du bien au pognon, je t'assure. Il en a besoin. Qu'est-ce que tu veux, quand tu peux te taper une belle fille pour cent cinquante francs, tes cent cinquante francs ont beaucoup plus de gueule après. Ils prennent une toute autre valeur. Au moins on sait que le pognon veut vraiment dire quelque chose, que ce n'est pas rien.

[...] Je sentis que je grandissais dans son estime.

Je pensais aussi en général, je pensais à l'ordre des grandeurs et à l'Ordre des Médecins et à leur communiqué en vue de préserver l'entrée libre et sacrée du foutre dans l'avortoir, mais ce sont des personnes très distinguées et garanties d'origine, qui n'ont pas vécu à la portée de toutes les bourses. [...] 

- Nous avons des affinités sélectives.

- Qu'est-ce que c'est ?

- Comme ça se prononce. Affinités sélectives, électives et affectives, en raison de recherches infructueuses.  C'est dans le dictionnaire, mais il faut se méfier, car les dictionnaires sont là dans un but prometteur. Affinités, je ne peux pas dire non, évidemment. Je ne sais pas du tout ce que cela signifie, c'est pourquoi je pense que c'est quelque chose de différent. J'emploie souvent des expressions dont j'ignore prudemment le sens, parce que là, au moins, il y a de l'espoir. Quand on ne comprend pas, il y a peut-être possibilité. C'est philosophique, chez moi. Je recherche toujours dans l'environnement des expressions que je ne connais pas, parce que là au moins on peut croire que cela veut dire quelque chose d'autre. 

Elle tenait toujours la main sur mes possibilités qui ne cessaient de grandir.

[...] Ils n'ont pas encore trouvé un savon, ou alors la pub ne fait pas son métier. Je pense qu'il y a encore beaucoup à faire. Je dis fermement comme je le pense et avec les larmes dans les yeux que l'agence Publicis ou les jeunes agences dans le vent devraient proposer un savon très doux pour feuilles de rose, avec affiches à l'appui, comme on faisait pour le bébé Cadum. Je pense que la pub n'a pas encore trouvé sa vraie place et qu'il y a des points de vente qu'elle néglige. 

[...] Elle s'enroula autour de moi avec bras et jambes [...]. Elle me serra très fort dans ses bras et me caressa dans ce silence au goutte-à-goutte qui fait bien les choses. La tendresse a des secondes qui battent plus lentement que les autres. Son cou avait des abris et des rivages possibles. 

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p260-261 à fin (édition augmentée, non publiée en 1976)

Ils sont dix millions, sans compter les autobus. Ça réduit. C'est la carte perforée, avec programmation et déperdition et des bouchons de quinze kilomètres à hauteur de Juvisy dans la gorge. Je ne sais pas si vous êtes au courant du foutre, de l'Ordre des Médecins avec droit sacré à la vie par voies urinaires et chéptélisation avec vaches françaises et banques de sperme pour l'expansion, mais la quantité d'hommes sans provision qui ont été émis et qui sont en circulation sans aucune chance d'être honorés, est effrayante. Je vous parle en connaissance de cause, je suis statistique. J'ai confié Cousin au Jardin d'Acclimatation dans ce but. Il est très difficile de détonner. J'espère qu'avec peu à peu et petit à petit il s'adaptera. Il faut des mesures. Je vous félicite. Les Jardins d'Acclimatation c'est très important, à cause de l'environnement. Il faut s'adapter. Il convient de prendre la couleur du milieu ambiant par mimétisme pour la protection par camouflage. Personnellement, je suis prêt à bouffer de la merde, je ne me prétends pas, je vous fais simplement remarquer qu'on ne nous a pas encore donné d'uniformes. Je suis antifascistes, car il faut que la police serve à quelque chose, ça ne se remplace pas par tout le monde du jour au lendemain. Je pourrais également vous parler d'autre chose, monsieur, mais c'est prohibitif, en raison de son absence. Mais permettez moi de vous dire que je ne vois pas du tout pourquoi vous avez amené des flics, car je suis pour. Je suis pour l'ordre des choses avec lois de la nature. (...)

Là où il y a vêtement, il y a espoir. L'homme s'annonçait sur toutes les coutures. Là où il y a vêtement, il y a moule à remplir, il y a forme humaine. Je compris immédiatement que le Jardin d'Acclimatation était un lieu de passage pour objets en souffrance en vue d'une destination heureuse et ultérieure. Il y a bien sûr des garçons de bureau qui se perdent mais on ne peut pas se retrouver sans se perdre. La seule façon sûre de ne pas se trouver c'est de ne pas savoir qu'on est perdu.

Quand ils ont mis mon pyjama dans la valise, indubitablement, pour usage futur, je compris que l'on me voulait du bien et je n'ai fait aucune difficulté. Je les ai suivis au Jardin d'Acclimatation en me frottant les mains et avec bonne humeur.

(...) Malheureusement, au bout de quelques semaines, je fus atteint de troubles la personnalité pour cause inconnue, comme son nom l'indique. Il m'est très difficile de m'expliquer là-dessus car il y a du stratagème dans l'air. J'ai l'impression que l'on cherche à me faire renaître de mes cendres dans un but de remise en circulation. 

(...) On comprendra tout l'abîme qui s'ouvrait à mes pieds. La première chose à faire était évidemment d'appeler la police pour devancer tous les soupçons. Mais c'était une réaction naturelle, et les lois de la nature, on est pas là pour les servir, c'est même tout le contraire. D'un autre côté, les jardins d'acclimatation en vue d'un jardin meilleur, il y en avait marre. Tout ce que ça fait jamais, c'est encore des banques de sperme et des hommes sans provision qui ne sont jamais honorés et des cris défiant toute concurrence. Les messages avec vue imprenable sur l'avenir, il y en a marre. IL y en a marre du foutre en position d'attente dans le stagnatoire, avec des mues-mues du pareil au même à l'appui. Le vocabulaire, je fréquente plus. 

(...) Mais là il se produisit quelque chose d'irrésistible. Il y eut une poussée irrésistible de l'intérieur. Il y avait là remue-ménage et chevauchées fantastiques, avec chants, printemps de Prague et ivresse prémonitoire. Je fus même en quelque sorte et comme soulevé de l'intérieur. C'était Jean Moulin et Pierre Brossolette. Ces gens-là sont d'une faiblesse qui confine à l'espoir. 

J'ai lutté. Je leur ai dit non. J'ai crié raison, bon sens, tanks russes, puissance et le plus grand nombre. J'ai parlé statistiques et agglomérat avec CRS à toutes les fissures. JE me suis accroché de toutes mes forces à ma vie privée, j'ai couru me laver le cul sur le bidet. Je le dis comme je le pense, je me suis lavé mon propre cul par mes propres moyens au moins dix fois cette nuit-là dans un but d'indépendance, de sollicitude et de liberté d'expression.

Rien à faire. Ils étaient les plus faibles, ces deux là et ça gagnait. Ça gagne toujours.

Je ne sais pas comment j'ai fait pour tenir vingt-quatre heures avec l'aide de la montre. Le terrain gagnait sur moi dans la nuit, comme toujours, avec l'immensité des déserts africains en plein Paris et une absence totale de considération ou même d'attention qui se jetait sur moi avec toute la puissance dévastatrice de personne. 

(...) Mon cœur battait à peine et mon souffle si léger que personne n'aurait cru qu'il y avait péril en demeure. (...) Je donnais bonne impression d'adaptation au niveau de vie. J'étais même louable et à encourager, car j'offrais un sympathique exemple de baisse de prix en pleine période de hausse. J'étais à vil prix, je ne nécessitais pas d'essence et de source d'énergie et j'étais économique, car on pouvait me jeter après usage. J'étais de plein emploi, et avec deux milliards de pièces de rechange, et sans autre matière première nécessaire que des investissements de foutre dans les banques de sperme. J'étais avec Pape, Ordre des Médecins à l'appui, avec droit sacré à la vie par voies urinaires et halte-là. J'étais à la fois matière première et produit fini, foutu même, avec promesse d'au-delà réservée uniquement aux morts. Je n'étais pas susceptible de dépassement que sur les autoroutes et j’étais vendu chaque année à deux millions d'exemplaires aux postes de télévision. On me mettait même une chaîne de couleur, comme son nom l'indique. J'avais un gouvernement qui me représentait sans aucun doute possible à cet égard. J'étais convertible. Je diminuais d'année en année, avec augmentation subséquente de besoins, pour compenser. Je bouffais de plus en plus de merde dans un but cancérigène. Ça gueulait parce que le prix de ma viande revenait de plus en plus cher à la sécurité routière et sociale. J'étais revenu national brute par tête d'habitant et de plus en plus. J'étais statistique jusqu'au trognon, démographique jusqu'à l’œuf, avec ovulation munie de tous les sacrements de l'Eglise et ouverte à toutes les bourses.

Je continuais néanmoins à raser les murs, malgré mon caractère inaperçu, car il y avait peut-être des failles dans mon regard qui laissait filtrer mon caractère sacré, secret, je veux dire, bien que je leur eusse intimé l'ordre d'éteindre les torches, à l'intérieur, dans un but d'imparfait du subjonctif offrant toutes les garanties. (...) Je soulevais au passage mon chapeau devant les forces de l'ordre pour leur montrer que je ne cachais rien. Mais ma faiblesse était telle que je ne méritais pas des mesures de prudence à mon égard. Mon inexistence apparente offrait les apaisements nécessaires. Je présentais. IL n'y avait pas à regarder dans les vitrines pour voir que j'étais prêt à porter. Il suffisait de voir mon sourire comme cul et chemise pour constater que j'offrais les garanties nécessaires, et que je ne refoulais même plus, j'avalais. Je prêtais si peu à attention que lorsque je fus poinçonné à l'entré du métro,  je repris un peu d'existence, de présence. Je me penchais pour me ramasser et le ticket me garda dans sa main, amicalement, comme preuve à l'appui. Je gardais le ticket dans ma main, je veux dire, m'ais l'intelligence aura rectifié d'elle-même. Je m'écoulai avec tout le monde à la sortie et il n'y eut ni regards curieux ni regards tout court, il suffisait de se faire poinçonner. J'avais mis mes lunettes noires des cinéastes pour empêcher le regard. (...)

Je ne saurais dire faute de mieux dans quel état j'étais présent, avec peur d'identification et faux prétexte, mais que ma faiblesse n'eut aucune peine à me surmonter et elle fit même preuve d'une témérité extraordinaire chez cette personne. (...)

Je ne sais par quel miracle personne ne remarqua rien. Peut-être par habitude de personne, par habitude de l'habitude, avec perpétuation. 

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Il avait pourtant suffi d'un moment de conscience pour voir Jean Moulin et Pierre Brossolette qui étaient sortis de la clandestinité pour aider un python de deux mètres vingt à monter les marches du Palais de la Découverte.

Ils me tenaient de deux côtés, sans répulsion et je dirais même fraternellement, et le malheureux Gros-Câlin, car c'était lui, faisait des efforts surhumains pour se tenir debout et droit sur son trognon et pour monter les marches dans un élan prodigieux contre nature.

J'en éprouvai un tel saisissement que je faillis manquer de faiblesse en moi-même, malgré l'aide intérieure qui me venait ainsi. (...)

Je ne sais vraiment pas comment je suis arrivé à les monter ces marches, et au vu et au su. C'était peut-être le plus grand effort de mon espèce.

Mais je l'ai fait, en sautillant sur mon trognon, soutenu par ma volonté d'accéder à l'erreur humaine et aidé par les deux ci-devant avec au-delà dans ce monde, et je me suis trouvé à l'intérieur et avec eux, c'est à dire dehors, dans toute la nouvelle acception de ce terme.

J'étais sorti.
Je ne voyais plus rien.
J'avais peur.
J'étais aveuglé par les hurlements des projecteurs.
Je ne voyais même plus Jean Moulin et Pierre Brossolette.
Je me tenais tout seul debout sur mon trognon.
Je tenais debout tout seul sur mon moignon parce que j'avais de qui tenir.
J'étais entouré d'initiales et d'initiaux.
Il y eut un prodigieux hurlement, avec fête.
Ils remplissaient toute la salle, avec des visages et des mains.

(...) Je faiblissais à vue d’œil avec fragilité, féminité et tendresse, non sans prétention, comme si j'avais déjà droit à l'erreur humaine.

(...) Je dirais ensuite à titre exemplaire que ma faiblesse ne faisait qu'augmenter et avec une telle tendresse à l'appui que je me suis senti comme entouré d'un sourire d'une radieuse féminité. (...)

Je suis ici le plus grand connaisseur connu de l'amour à cause de l'absence prolongée.
Je sais ce que c'est, quand ce n'est pas là.
C'était là.

Je n'ai jamais vu autant de mains tendues de ma vie et ce n'étaient pas celles que l'on porte sur soi d'habitude pseudo-pseudo avec gant à l'appui. C'étaient de vraies mains à tous poings de vue et à tous égards, avec aide et assistance aux noyés. J'en avais moi-même des mains qui me venaient et ma faiblesse en prenait des proportions triomphales.

(...) J'ai voulu chanter. Je ne pouvais pas parler avec un bouchon de quinze kilomètre. J'ai voulu chanté.

(...) Ça a fait pop. Ça a fait pop ! comme si le bouchon avait sauté tout seul. 

(...) Je faiblissais tellement que ma voix faisait l'effet du tonnerre.
Ils étaient tous debout.
J'ai voulu aussi me mettre debout mais j'étais déjà sans savoir faute d'habitude.
- Je suis différent comme tout le monde ! hurlai-je.

Je n'avais même pas honte de mes larmes, à cause de la rosée de l'aube. Seulement je n'avais plus assez de gorge pour les avaler, car j'avlais depuis que j'avais gorge.

J'ai eu alors le mot de la fin.

- A bas l'existoir ! murmurai-je et le murmure c'est peut-être ce qu'il y a de plus fort.

Ils s'étaient tus. Il y avait un tel silence que l'on entendait presque quelque part ailleurs quelqu'un d'autre qui disait autre chose.

Ce fut alors que l'on perçut clairement dans le silence le premier mot qui n'était dit par personne et n'était pas perceptible car il venait d'ailleurs et était encore si faible qu'il y avait déjà espoir.

30.XI.73

Emile Ajar, Romain Gary, Gros CalinSe procurer l'ouvrage :

Gros-Câlin

Romain Gary - alias Emile Ajar

1974, 2012 édition augmentée

Folio

291 pages

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A consulter également : 

> https://www.lemonde.fr/societe/article/2009/05/26/diego-gary-sa-vie-a-lui-enfin_1198160_3224.html

 

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