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Du mariage considéré comme un des beaux-arts

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Laetitia Casta par Herb Ritts pour le Calendrier Pirelli 1999
Gala p.59, 22 juillet 2015

 

Et sinon, du mariage considéré comme un des beaux-arts
par Philippe Sollers et Julia Kristeva

 

 

Interview de Philippe Sollers et Julia Kristeva, par Candice Nedelec, Gala p.54, 22 juillet 2015 :

[...] Confortablement installés autour de leur table de salle à manger, au cœur du 6e arrondissement parisien, l'écrivaine-psychanalyste et le romancier se chamaillent comme deux enfants pour prendre la parole en premier. Leurs yeux pétillent lorsqu'ils tentent d'expliquer leur vision Du mariage considéré comme un des beaux-arts, le joli titre de leur livre publié chez Fayard. "Chut, je parle !", s'agace gentiment Julia Kristeva, incessamment interrompue par son volubile et turbulent partenaire. Un "jeune" couple. Presque comme les autres.

Gala : "Je n'ai jamais songé à me marier sauf une fois et une fois pour toutes", écrivez-vous, Philippe Sollers. Qu'est-ce qui fait que votre union a duré ?

Philippe Sollers : Le plus souvent, le mariage est un conflit où l'un des acteurs est une victime. On se marie par calcul ou dans l'illusion, le temps use ce contrat. Aujourd'hui, les gens se marient, se démarient, se remarient, ou stagnent dans une déception réciproque. Nous avons réussi à conserver notre personnalité créatrice en nous stimulant sans cesse. L'indépendance financière de chacun a aussi été un élément d'équilibre et me paraît être primordiale.

Julia Kristeva : Difficile de résumer cinquante ans de vie à deux. D'autant que nous ne voulons donner de leçon à personne. Notre génération issue de mai 68 a eu la conviction que l'on pouvait vivre de manière nouvelle l'expérience amoureuse. Sans victimisation de la femme, en comprenant que la culpabilité des infidèles n'était pas un impératif. Nous avons tout fait sur le plan de notre organisation de vie pour que chacun existe de manière indépendante. A chacun son espace, son bureau, nous nous retrouvons pour échanger le soir autour d'un dîner, et nous faisons part de nos pensées plusieurs fois par jour, souvent par SMS, et nous n'avons jamais cessé de dialoguer à travers nos livres. Notre vie à deux est un laboratoire où nous avons tout fait pour maintenir ce feu de la connivence. Chaque jour est une rencontre.

Gala : La différence entre les hommes et les femmes est irréductible. Comment avez-vous surmonté l'obstacle ?

Philippe Sollers : La fusion c'est l'idéalisation du couple, qui ne produit qu'une impasse. Nous ne sommes pas deux mais quatre. Son féminin ne sera jamais le mien et mon masculin ne sera jamais le sien. Et nous sommes même 2 + 2 + 1 depuis la naissance de notre fils David.

Julia Kristeva : Tout l'enjeu est en effet de ne pas avaler l'autre dans une pseudo-fusion qui s'avère en définitive être dominée par le narcissisme d'un seul. Je crois beaucoup à la dimension de soins que l'on prodigue à l'autre. Rien ne doit être figé : Colette écrivait que "renaître n'est jamais au-dessus de ses forces". Si les gens évoluent, ils croient souvent qu'ils se trahissent. Or nous apprenons à traverser nos frontières intérieures. L'identité n'est pas un culte. C'est un voyage, dans lequel vous ne trahissez pas, vous vous dépassez. "Je me voyage", dit une héroïne d'un de mes romans qui me représente.

Gala : Vous affirmez ne jamais vous être juré fidélité. Pour autant, un contrat à la Sartre-Beauvoir, qui se disaient tout, n'est pas souhaitable selon vous ?

Philippe Sollers : Un contrat de transparence me paraît en effet malsain. Le silence est préférable.

Julia Kristeva : L'amour n'est pas "stationnaire", disait déjà sainte Thérèse d'Avila. L'important est de préserver le socle de l'entente immédiate, l'harmonie des sens et l'alchimie sexuelle, qui restent indélébiles même si elles évoluent avec l'âge. Les rencontres qui vous transcendent tout au long de la vie ne doivent pas être utilisées pour détruire ce socle.

Gala : Comment avez-vous réussi à lutter contre le sentiment de jalousie ?

Julia Kristeva : Cela dépend beaucoup de la confiance que l'on peut avoir en soi et de notre histoire personnelle. Pour ma part, mon père m'aimait tellement que je me dis que si un homme ne m'aime pas, eh bien il se trompe ! Par ailleurs, je ne suis pas fascinée par les autres femmes, je ne les jalouse donc pas.

Philippe Sollers : Même réponse. Il y a un très faible coefficient homosexuel chez moi ! Je ne m'obsède pas sur les autres hommes.

Gala : La rencontre est le choc entre deux enfances. En quoi les vôtres, si différentes, étaient-elles compatibles ?

Julia Kristeva : L'enfance qui nous réunit, c'est, je pense, une certaine aisance par rapport au corps. J'ai retrouvé chez Philippe la même émotion des sens que chez moi.

Philippe Sollers : Tu as raison, d'ailleurs la photo de couverture de notre livre dit tout. on voit deux sportifs, serrés l'un contre l'autre, qui rient au soleil.

Gala : Conseillez-vous à François Hollande de se marie avec Julie Gayet ?

Philippe Sollers : Pourquoi pas, mais il ferait mieux d'épouser enfin Ségolène Royal.

Julia Kristeva : Si c'est uniquement pour la photo et pour bercer les abstentionnistes ou les frondeurs avec le vieux mythe du couple princier, cela n'a pas de sens.

Gala : Est-il facile de vivre avec une psychanalyste ?

Philippe Sollers : Je suis son meilleur patient. Ça me coûte très cher ! Il est certain qu'il est préférable de vivre avec quelqu'un qui a une vraie écoute. Et je fais des progrès tous les jours.

Gala : Et partager la vie du plus français des écrivains ?

Julia Kristeva : Ça n'est pas toujours facile, mais ça n'est jamais ennuyeux.

 

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