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Marie Stuart, par Stefan Zweig

 marie stuart, stefan zweig

 

Dans la sphère d'une destinée, la durée du temps à l'extérieur et à l'intérieur n'est pas la même qu'en apparence ; en réalité, ce sont les événements qui servent de mesure à l'âme : elle compte l'écoulement des heures d'une toute autre façon que le froid calendrier.

Enivrée de sentiment, transportée et fécondée par le destin, elle peut éprouver d'infinies émotions dans le temps le plus court ; par contre, sevrée de passion, d'interminables années lui feront l'effet d'ombres fugitives.

C'est seulement quand un être met en jeu toutes ses forces qu'il est vraiment vivant pour lui, pour les autres, toujours il faut qu'un feu intérieur embrase et dévore son âme pour que s'extériorise sa personnalité.

C'est toujours la passion qui dévoile à une femme son caractère, c'est toujours dans l'amour et dans la douleur qu'elle atteint sa véritable mesure.

 

Extrait de Marie Stuart, Stefan Zweig, 1945

Préface

Ce qui est clair et évident s'explique de soi-même, mais le mystère exerce une action créatrice. C'est pourquoi les figures et les événements historiques qu'enveloppe le voile de l'incertitude demanderont toujours à être interprétés et poétisés de multiples fois. La tragédie de la vie de Marie Stuart en est l'exemple classique par excellence. Peu de femmes, dans l'histoire, ont provoqué une éclosion aussi abondante de drames, de romans, de biographies et fait naître autant de discussions. Pendant plus de trois siècles, elle n'a pas cessé d'attirer les poètes, d'occuper les savantes, et aujourd'hui encore sa personnalité s'impose avec force à notre examen. [...]

Le mystère qui entoure la vie de Marie Stuart a été l'objet de représentations et d'interprétations aussi contradictoires que fréquentes : il n'existe peut-être pas d'autre femme qui ait été peinte sous des traits aussi différents, tantôt comme une criminelle, tantôt comme une martyre, tantôt comme une folle intrigante, ou bien encore comme une sainte. Chose curieuse, cette diversité d'aspects n'est pas due au manque de matériaux parvenus jusqu'à nous, mais au contraire à leur surabondance embrouillée, les procès-verbaux, actes, lettres et rapports conservés se comptant par milliers. Mais plus on approfondit ces documents, plus on se rend compte de la fâcheuse fragilité de tout témoignage historique. Car bien qu'ancien et certifié authentique, un document n'en est pas pour cela sûr et plus vrai au point de vue humain. Nulle part autant qu'ici on ne constate aussi nettement l'étonnante différence qui peut exister entre les récits faits à la même heure d'un seul et même événement par plusieurs observateurs. [...] en général, les auteurs protestants ne voient qu'une coupable en Marie Stuart, cependant que les auteurs catholiques accusent Elisabeth. Chez les écrivains anglais, la reine d'Ecosse est presque toujours dépeinte comme une criminelle ; chez les écrivains de son pays, comme l'innocente victime d'une infâme calomnie. [...] C'est pourquoi il est peut-être possible à celui qui n'est ni Anglais ni Ecossais, à celui que n'encombrent point les préjugés de race, d'être plus objectif et d'aborder cette tragédie avec toute la passion et l'impartialité de l'artiste.

[...]

Car, en soi, le caractère de Marie Stuart n'a rien de si mystérieux : il ne manque d'unité que dans ses manifestations extérieures ; intérieurement, il est rectiligne et clair du commencement à la fin. Marie Stuart appartient à ce type de femmes très rares et captivantes dont la capacité de vie réelle est concentrée dans un espace de temps très court, dont l'épanouissement est éphémère mais puissant, qui ne dépensent pas leur vie tout au long de leur existence, mais dans le cadre étroit et brûlant d'une passion unique. Jusqu'à vingt-trois ans son âme respire le calme et la quiétude ; après sa vingt-cinquième année elle ne vibrera plus une seule fois intensément ; mais entre ces deux périodes un ouragan la soulève et d'une destinée ordinaire naît soudain une tragédie aux dimensions antiques, aussi grande et aussi forte peut-être que l'Orestie. Ce n'est que pendant ces deux brèves années que Marie Stuart est vraiment une figure tragique, ce n'est que sous l'effet de sa passion démesurée qu'elle s'élève au-dessus d'elle-même, détruisant sa vie tout en l'immortalisant.

Etant donné cette particularité, toute représentation de Marie Stuart a sa forme et son rythme fixés d'avance : l'artiste n'a qu'à s'efforcer de mettre en relief dans tout ce qu'elle a d'étrange et d'exceptionnel cette courbe vitale qui monte à pic et retombe brusquement sur elle-même. [...] Dans la sphère d'une destinée, la durée du temps à l'extérieur et à l'intérieur n'est pas la même qu'en apparence ; en réalité, ce sont les événements qui servent de mesure à l'âme : elle compte l'écoulement des heures d'une toute autre façon que le froid calendrier. Enivrée de sentiment, transportée et fécondée par le destin, elle peut éprouver d'infinies émotions dans le temps le plus court ; par contre, sevrée de passion, d'interminables années lui feront l'effet d'ombres fugitives. C'est pourquoi seuls mes moments de crise, les moments décisifs comptent dans l'histoire d'une vie, c'est pourquoi le récit de celle-ci n'est vrai que vu par eux et à travers eux. C'est seulement quand un être met en jeu toutes ses forces qu'il est vraiment vivant pour lui, pour les autres, toujours il faut qu'un feu intérieur embrase et dévore son âme pour que s'extériorise sa personnalité.

p.17-19

La beauté n'est pas rayonnante, mais plutôt piquante : on voit un ovale délicat et gracieux, auquel le nez, un peu pointu, vient apporter ce charme de l'irrégularité qui donne toujours un attrait particulier à un visage féminin ; un œil doux et sombre au regard plein de mystère et à l'éclat voilé ; la bouche est muette. Il faut reconnaître que vraiment la nature a employé pour cette fille de roi ses matériaux les plus précieux : un peau étincelante de blancheur, une chevelure blond cendré, luxuriante, des mains longues, fines et blanches, un buste élancé, souple "dont le corsage laissait entrevoir la neige de la poitrine ou dont le collet relevé droit découvrait le pur modelé des épaules". On ne trouve pas de défaut dans ce visage, mais c'est précisément parce qu'il est aussi froidement parfait, aussi uniment beau qu'il lui manque tout trait caractéristique. On ne sait rien de cette gracieuse jeune fille quand on regarde son portrait et elle-même ne sait encore rien de sa vraie nature. Ni l'âme ni les sens ne s'expriment sur ce visage, la femme n'a pas encore parlé dans cette femme : c'est une jolie et douce pensionnaire qui vous regarde d'un air aimable et gracieux.

Ce manque de maturité, cette somnolence des sens se trouvent confirmés par tous les rapports oraux en dépit de leurs débordements lyriques. Car justement, en vantant sans cesse chez Marie Stuart la brillante éducation, l'absence de défauts, l'application, la correction, on parle d'elle comme d'une élève parfaite. On apprend qu'elle étudie très bien, que sa conversation est pleine de charme, qu'elle est pieuse et a de belles manières, qu'elle excelle dans tous les jeux et dans tous les arts, sans manifester pour aucun de ceux-ci des dispositions particulières, qu'elle est courageuse et docile et se tire à la perfection des devoirs imposés à une fiancée royale. Mais ce ne sont là que des qualités sociales, des qualités de cour que tous admirent, des choses impersonnelles en somme. D'elle-même, de son caractère, on ne nous dit rien de particulier, ce qui prouve que le fond de sa nature, que sa personnalité reste provisoirement cachés à tous les regards, pour la simple raison qu'elle n'est pas encore éclose. Pendant des années encore l'éducation et les manières distinguées de la princesse ne laisseront pas deviner la violence des passions qui agiteront un jour l'âme épanouie de la femme lorsqu'elle aura été ébranlée au plus profond d'elle-même. Pour le moment son front brille toujours d'un éclat muet et froid, son sourire est doux et gracieux, son regard sombre qui n'a vu que le monde extérieur et n'a pas encore sondé les profondeurs de son cœur médite et interroge. Marie Stuart, pas plus que les autres, ne sait rien de l'héritage que charrie son sang, ni les dangers qui l'attendent. C'est toujours la passion qui dévoile à une femme son caractère, c'est toujours dans l'amour et dans la douleur qu'elle atteint sa véritable mesure.

p.28

François II s'affaiblit de jour en jour, le sang vicié qui coule dans ses veines lui martelle douloureusement les tempes et bourdonne dans ses oreilles. Il ne peut plus monter à cheval, il ne peut plus marcher, il faut le transporter d'un endroit à l'autre. Finalement l'humeur lui faillit de l'oreille, les médecins se déclarent impuissants et le 6 décembre 1560 le malheureux garçon a fini de souffrir. [...]

p.30

Cette noble mélancolie s'exhale dans la plainte funèbre que Marie Stuart composa alors en l'honneur du défunt. Les vers sont dignes de son maître et professeur Ronsard. Même si elle n'avait pas été écrite par une main royale, cette douce nénie parlerait au cœur par la sincérité et la simplicité du ton. [...]

          Sans cesse mon cœur sent
          Le regret d'un absent.
    
          Si parfois vers les cieux
          Viens à dresser ma veue
          Le doux traict de ses yeux
          Je vois en une nue ;
          Soudain je vois en l'eau
          Comme dans un tombeau.
          Si je suis en repos,
          Sommeillant sur ma couche,
          Je le sens qui me touche :
          En labeur, en recoy,
          Toujours est près de moy.

 

Marie Stuart, Stefan ZweigSe procurer l'ouvrage :

Marie Stuart

Stefan Zweig

1945 (écrit en 1939)

Traduit de l'allemand par Alzir Hella

Editions Bernard Grasset

373 pages

http://www.amazon.fr/MARIE-STUART-STEFAN-ZWEIG/dp/B007NYN4MC/

 

 

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